Refus de déduction d’intérêts, fusion taxable et gestion en bon père de famille

Emprunter pour financer une distribution de dividendes : la déduction des intérêts soumise à des conditions de plus en plus strictes

Depuis quelques années, la déduction fiscale des intérêts de dettes contractées en vue de financer des distributions de dividendes par une société fait l’objet d’une attention particulière de la part de l’administration fiscale.

Dans la foulée de ce regain d’intérêt, deux jurisprudences de Cours d’appel ont donné raison à l’administration fiscale dans des litiges portant sur cette question, en refusant la déduction d’intérêts au motif que les emprunts ne pouvaient, dans ces affaires, être considérés comme engagés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus professionnels ; condition générale de déduction de tout frais professionnel posée par l’article 49 du Code des impôts sur les revenus (CIR). 

L’une de ces affaires fût portée devant la Cour de cassation qui rejeta le pourvoi introduit par le contribuable. La juridiction suprême valida le raisonnement de la Cour d’appel d’Anvers qui avait refusé la déduction au motif que le contribuable n’avait pas apporté de preuve suffisante quant à la satisfaction de la condition de l’article 49 du CIR. La Cour rappela toutefois le principe générale selon lequel la déduction d’intérêts d’emprunts contractés en vue de financer une distribution de dividendes ou une réduction de capital est en règle autorisée, pour autant que le contribuable prouve que les charges d’intérêts tendent à acquérir ou conserver des revenus professionnels. Ce qui peut, selon la Cour, notamment être fait en démontrant que l’emprunt est contracté afin d’éviter « la perte d’actifs utilisés pour acquérir ou conserver des revenus imposables ».

Récemment, une nouvelle affaire fût soumise à la Cour d’appel d’Anvers qui une fois de plus, appliqua très strictement la législation fiscale et refusa la déduction des intérêts d’un emprunt contracté en vue de financer une distribution de dividendes.

A l’analyse du dossier, la Cour relève que l’opération fût motivée par le souhait de la société de se délister de la bourse. Certains actionnaires avaient contractés des crédits en vue de permettre cette sortie de la cotation boursière et les dividendes étaient destinés à apurer ces crédits.

Le contribuable motiva notamment l’opération par le fait que le delisting lui permettrait d’accroître sa liberté d’action, de réaliser de nouveaux investissements et de faire ainsi croître son chiffre d’affaires mais cela n’a pas convaincu la juridiction anversoise qui a estimé que ces affirmations n’étaient pas suffisamment étayées.

En toute vraisemblance, c’est à nouveau le manque de preuves produites par le contribuable qui semble être à l’origine de cette nouvelle débâcle car en tant que tel, le motif invoqué aurait pu rencontrer les exigences de l’article 49 du CIR telle que rappelées par la Cour de cassation.

Cette jurisprudence souligne, pour autant que de besoin, l’importance d’une motivation adéquate, étoffée par des preuves solides.

La gestion en bon père de famille : la valeur de ce repère à nouveau confirmée

Ces dernières décennies ont vu naître une série de dispositions fiscales anti-abus dont plusieurs ont pu faire craindre que le concept de gestion en bon père de famille aurait pu perdre de son importance.

En particulier, la modification du tristement célèbre article 344, §1er du CIR traitant de la ‘requalification’ des actes lorsqu’ils sont constitutifs d’abus fiscal, a pu semer un certain émoi. En parallèle, l’administration fiscale s’est mise à contester à l’aide d’arguments toujours plus fouillés l’application de l’exonération fondée sur la notion de gestion en bon père de famille.

S’il fallait encore s’en convaincre, une nouvelle affaire soumise à la Cour de cassation a permis cette fois à la Cour constitutionnelle d’aborder cette question et de confirmer la validité du critère du bon père de famille.

La Cour de cassation s’interrogeait quant à la constitutionnalité de ce critère d’appréciation, au regard du principe de légalité contenu à l’article 159 de la Constitution.

La réponse fût limpide : la prévisibilité de l’impôt n’apparaît pas problématique aux yeux de la Cour constitutionnelle qui répute le régime suffisamment délimité par les balises existantes. La disposition fiscale dont l’application repose sur l’interprétation de cette notion est dès lors suffisamment précise pour résister au test de sa légalité.

Fusion de sociétés : exigence de motivation renforcée

Nous en parlions dans les lignes précédentes, la loi fiscale s’est pavée de dispositions et d’alinéas ajoutés aux régimes existants en vertu desquels la motivation des opérations a pris une importance prépondérante.

Une grande majorité de ces ajouts visent à soumettre l’application des dispositions fiscales concernées à un ‘test de motivation’ en réponse auquel des justifications non-fiscales doivent pouvoir être avancées au titre de motivations principales.

Le régime belge de neutralité fiscale transposant les dispositions européennes relatives aux fusions de sociétés contient une telle condition qui refuse la neutralité si l’opération a pour objectif principal, ou comme l’un de ses objectifs principaux, la fraude ou l’évasion fiscale (article 211, §1er, al. 4, 3° du CIR).

Issue en droite ligne de la directive européenne du 23 juillet 1990 sur les fusions, cette condition s’interprète notamment à la lumière des arrêts de la Cour de justice européenne relative à l’abus fiscal.

La motivation non-fiscale de l’opération revêt une importance particulière car à défaut, la fusion sera ‘taxée’, ce qui impliquera généralement soit la perte de latences fiscales, soit un débours effectif d’impôt sur les plus-values latentes.

Une société inactive depuis plusieurs années disposait de pertes fiscales reportées et de déduction pour capital à risque reportées qui n’avaient visiblement plus d’utilité dans son chef. Elle fût fusionnée en neutralité d’impôts (ce qui a permis notamment un transfert partiel de ces latences) avec une société qui tira profit de ces latences pour éponger ses résultats imposables.

L’administration fiscale contesta la neutralité fiscale au motif que l’opération répondait à des objectifs principalement fiscaux.

La Cour d’appel de Gand confirma cette conclusion après avoir pu vérifier l’utilité fiscale de l’opération dans le cas d’espèce mais surtout, son inutilité économique dans le chef de la société absorbante qui n’a visiblement pas pu démontrer que cette fusion bénéficiait dans une quelconque mesure à ses activités d’entreprise. L’économie structurelle réalisée au niveau du groupe, inhérente à toute opération de fusion, apparaît marginale aux yeux de la Cour au regard des avantages fiscaux tirés de l’opération, outre que cet argument n’est pas propre à la société, mais au groupe duquel elle fait partie.

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