Faut-il craindre la disparition du régime fiscal applicable aux droits d’auteur ?

Nous le soulignions dans notre édition du 24 mars dernier, le régime fiscal spécifique instauré en matière de droits d’auteur depuis 2008 devrait être prochainement modifié. Cette législation suscite, aux dires de la Cour des comptes, de bien trop nombreux abus et l’objectif initial du législateur serait en pratique détourné (voyez upTaxed 2022-3).

Ce régime est effectivement victime de son succès tant son application fut revendiquée. En témoigne également la quantité de décisions anticipées rendues et le nombre toujours croissant de contrôles fiscaux initiés dans ces dossiers.

Un remaniement de la disposition concernée serait dès lors à l’examen en vue de restreindre l’application du régime en répondant aux critiques soulevées, ce qui risque d’influencer, du jour au lendemain, la situation des contribuables faisant application de la mesure.  

Les créateurs doivent-ils pour autant s’en inquiéter ? La réponse nous semble de toute évidence négative.  

Régime fiscal des droits d’auteur : genèse

Adoptée dans la foulée de l’instauration d’un régime de sécurité sociale sur-mesure pour les artistes, cette législation fiscale devait principalement veiller à tenir compte des singularités de ce métier en participant à l’assurabilité des revenus des artistes par l’introduction d’un régime tenant davantage compte de leur capacité contributive.

Suivant cette approche, la première ébauche de texte proposait de ranger les revenus des droits intellectuels dans la catégorie des ‘revenus divers’ et de les soumettre à une imposition progressive qui pourrait arriver jusqu’à 33%.

Sur amendement du Sénateur Dallemagne, le texte fût remanié pour aboutir au régime de ‘requalification’ que nous connaissons et qui, loin d’avoir sécurisé la situation des métiers créatifs, a alimenté toujours plus de discussions avec l’administration fiscale.

La proposition de loi de 2008 pointait à cet égard la nécessité de sécuriser la situation fiscale des artistes car déjà avant l’introduction du régime, les contrôles fiscaux étaient nombreux.

Une très grande majorité des rectifications qui intervenaient entendaient taxer les revenus de droits d’auteur au titre de revenus professionnels, aux taux progressifs par tranches. L’administration s’efforçait de démontrer que l’activité de l’artiste qui consistait principalement à créer ses œuvres, recelait les éléments constitutifs d’une activité professionnelle. Empruntant un raccourci très critiquable, l’administration concluait sur cette base que les droits d’auteur issus de cette activité répétée et exercée dans un but de lucre ne pouvaient recevoir qu’une qualification de bénéfices ou profits d’une occupation professionnelle.

C’est pourtant là une confusion interdite par la loi fiscale et malgré l’introduction du régime de 2008, celle-ci a continué à alimenter de trop nombreux de litiges en pratique.

Qu’est-ce qu’un revenu de droit d’auteur ?

L’état de la question, tant avant que depuis l’instauration du régime de 2008, peut être résumé assez simplement : pour qu’un revenu issu de l’exploitation d’un droit d’auteur puisse être imposé comme revenu professionnel, ce droit d’auteur doit être affecté par le bénéficiaire du revenu à sa propre activité professionnelle.

Etonnement, la ‘mécanique fiscale’ des droits d’auteur est à ce sujet similaire à celle des immeubles qui, elle, ne suscite toutefois pas ces difficultés d’application vis-à-vis des contrôleurs. Tout comme pour les revenus de droits d’auteur, dans le chef d’une personne physique, une taxation de loyers au titre de revenus professionnels exige que l’immeuble soit affecté à l’activité professionnelle de ce bailleur, ce qui n’est en pratique jamais (ou qu’exceptionnellement) le cas.

Assis sur un socle similaire de fonctionnement, il est dès lors étonnant que les droits d’auteur soulèvent tant de discussions avec l’administration fiscale en comparaison des revenus immobiliers.

L’artiste crée l’œuvre et dans beaucoup de cas (si pas la majorité), il n’est pas rémunéré pour cette phase ou activité de création. Songeons par exemple au groupe de musique qui met au point ses chansons ; il ne gagnera généralement pas un euro pour cette activité créative. Par contre, si l’œuvre plait ou dispose d’un potentiel pour plaire à un public, l’exploitation de l’œuvre sera prise en main par un éditeur, un distributeur, une maison de disque ou un autre professionnel du secteur qui souvent, permettra en amont à cette œuvre de devenir commercialisable (e.g., enregistrement dans un studio de qualité, mixage des titres, etc.).

Ce professionnel du secteur acquerra les droits sur l’œuvre auprès de l’auteur, mettra différents moyens en œuvre pour assurer la commercialisation et percevra les revenus de cette exploitation. L’artiste, quant à lui, recevra dans une majorité de situations une rémunération en contrepartie de la mise en licence de ses droits, voire de leur vente, à cet exploitant, qui dépendra souvent des ventes.

Cet exemple met parfaitement en lumière la pierre angulaire du régime fiscal des droits d’auteur : l’artiste n’affecte aucunement l’œuvre à sa propre activité professionnelle, ce qui est par contre le cas de l’éditeur dans notre exemple.

Dans ces circonstances, la loi fiscale ne permet pas de considérer les revenus perçus par l’artiste suite à l’exploitation faite par un tiers comme des revenus professionnels. L’artiste octroie une licence sur son œuvre, voire cède (ses droits patrimoniaux sur) son œuvre et perçoit en rémunération des revenus de cession ou de concession de ce droit d’auteur, revenus définis comme étant ‘mobiliers’ par le Code fiscal.

Les dangers du régime fiscal adopté en 2008

La disposition introduite en 2008 manque dès lors totalement son objectif.

L’article 37 du CIR édicte en effet le principe que nous soulignions ci-dessus selon lequel les droits d’auteur ne sont imposables comme revenus professionnels que si l’œuvre qui génère les revenus est affectée à l’activité professionnelle du bénéficiaire de ces revenus.

La modification de 2008 s’est contentée de stipuler à l’alinéa suivant de cette disposition, sans autre précision, que « par dérogation, les revenus [de droits d’auteur] conservent leur qualité de revenus mobiliers sauf dans l'éventualité et dans la mesure où ils excèdent 64.070 euros »  (montant 2021).

Le texte est très clair : la seule et unique portée de cette disposition est dès lors de requalifier (dans une certaine mesure) des revenus par nature professionnels en revenus mobiliers. Si le revenu concerné n’est pas professionnel, la disposition ne peut être appliquée. Elle n’a dès lors aucune conséquence sur le régime fiscal des revenus qu’un auteur percevrait par suite de cession ou de concession de son œuvre à un tiers, pour la simple raison que les revenus en question ne sont pas professionnels mais mobiliers.  

On aperçoit immédiatement de l’absurdité du régime de 2008 qui a totalement « loupé le coche » car il ne vise pas les revenus à l’origine de la démarche de légifération (sauf pour une très faible catégorie de contribuables qui affecteraient leurs créations à leur propre activité professionnelle).

Mais au-delà d’avoir raté son objectif, dans les faits cette disposition place les auteurs en situation dangereuse car au vu du marketing fait autour de ce régime par les conseillers et de l’incompréhension générale qui règne quant à sa portée, un grand nombre de profils créatifs sera tenté d’en revendiquer l’application. Or, ce faisant, l’auteur fait un aveu bien maladroit car il indique à l’administration fiscale que ses revenus sont selon lui des revenus qui doivent être considérés comme professionnels mais qu’il souhaite bénéficier du régime de requalification sur la tranche prévue.

Ceci alors que dans le type de configuration évoqué ci-dessus, il ne saurait être question de revenus professionnels et l’auteur ne pourrait voir ses revenus imposés que comme revenus mobiliers, sans aucune limite annuelle.

A titre de consolation, nous pourrons toutefois constater que ce régime a permis de mettre un terme aux intarissables discussions qui concernaient les auteurs disposant de faibles revenus, en deçà du seuil indexé annuellement, et qu’il a apporté une clarification bienvenue à la notion de revenus (mobiliers) de droits d’auteur (en ajoutant la « cession » dans la définition des revenus visés).

Pour les autres, la situation est fort différente car les litiges continuent de battre leur plein, profitant de la confusion créée par l’introduction de cette mesure soi-disant destinée à sécuriser leur situation.

Heureusement, depuis que la Cour de cassation a clairement affirmé les principes que nous évoquions ci-dessus, les cours et tribunaux appliquent cette jurisprudence avec discernement. La loi fiscale étant d’ordre public, le malheureux aveu de notre auteur ne pourra lui être reproché (i.e., opposé) s’il ne reflète pas la réalité de la situation mais cela nécessitera toutefois que ce dernier soit correctement informé de ses ‘droits’ fiscaux, ce qui est rarement le cas, et qu’il puisse se permettre de porter l’affaire en justice.

Attention aux contrôles

En pratique, comme l’illustrent les décisions de la commission des rulings fiscaux, les applications qui ont été faites de ce régime sont légion et il faut le reconnaître, un grand nombre de ces applications ne correspondent absolument pas à l’intention du législateur en profitant à des catégories de contribuables qui n’étaient pas destinataires de la mesure à ses yeux.

L’administration fiscale ne voit pas ceci d’un bon œil et les contrôles sont nombreux, alimentés par des argumentaires toujours plus élaborés, campés par des critères de rapport au chiffre d’affaires ou autres seuils imaginés par le SDA (pour une grande partie sans fondement légal). L’application répétée de ces critères par le SDA dans ses décisions a semble-t-il eu pour effet de donner des lignes directrices informelles aux contrôleurs fiscaux mais également, de créer une apparence de zone de confort dans laquelle les contribuables pourraient songer se retrouver. Seulement rappelons-le, un ruling n’a aucune valeur de précédent et chaque dossier doit être soigneusement analysé et justifié. C’est là qu’en pratique, le bât blesse.

Il conviendra également de rester attentif à l’avenir que notre législateur réserve à ce régime qui subira plus que probablement des modifications emportant des conséquences sur la situation des contribuables concernés qui auront alors intérêt à s’adapter.

Cela étant, tant que les principes fondamentaux sur lesquels repose la mécanique expliquée ci-dessus demeurent, les profils créatifs ne devraient pas s’en inquiéter outre mesure.

Xavier Gillot

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