Régime fiscal des spin-offs et neutralité pour l’actionnaire : une lueur d’espoir ?

Dans un arrêt récent, la Cour d’appel de Mons déboute la thèse développée par l’administration fiscale suite à la malheureuse jurisprudence ‘Tyco’ et offre enfin une lueur d’espoir pour les actionnaires de sociétés réalisant des opérations de spin-offs.

Avec beaucoup de bon sens économique, l’arrêt de la Cour décide en substance que l’actionnaire ne peut être imposé à l’occasion de l’opération que dans la mesure où il s’enrichit concrètement.

La question fiscale

Pour rappel, juridiquement une spin-off est une opération qui se réalise en deux temps, par laquelle une société apporte certains éléments de son patrimoine à une ou plusieurs autres sociétés, recevant par-là des actions de cette ou ces sociétés en rémunération de l’apport, pour attribuer dans un deuxième temps ces actions reçues à ses propres actionnaires (en proportion de leur participation historique respective).

C’est une alternative à la scission partielle qui aboutit, pour les actionnaires, au même résultat car ils se retrouvent également avec des actions de la ou des nouvelles sociétés dans leurs mains en proportion des actions qu’ils détiennent dans le capital de la société scindée.

Économiquement, l’actionnaire ne s’enrichit pas systématiquement : l’actionnaire qui avait une participation dans une société avec un certain patrimoine pourrait posséder, après la spin-off, des actions dans deux (ou plus) sociétés différentes ayant une même valeur patrimoniale totale, la participation historique ayant perdu de sa valeur en raison de l’apport et la nouvelle participation venant en remplacement à concurrence de cette perte de valeur.

Résumée à sa plus simple expression, cette opération implique souvent, à titre d’exemple, que si une société dont les actions valent 100, réalise une opération de spin-off par laquelle la moitié de sa valeur est apportée à une autre société, l’actionnaire verra sa participation ayant une valeur de 100 dans son patrimoine remplacée par deux participations ayant chacune une valeur de 50 et dès lors, de 100 en totalité. En termes de valeur patrimoniale, la spin-off ne l’aura pas enrichi.

Dans de telles circonstances, cette opération implique-t-elle la taxation d’un revenu imposable ? La réponse est depuis longtemps positive mais l’arrêt de la Cour d’appel de Mons apporte enfin un peu de bon sens économique à la réflexion.

Cette arrêt contraste avec la célèbre jurisprudence ‘Tyco’ qui en décida autrement et confirma la thèse administrative qui prévaut depuis et qui se résume comme suit : la définition fiscale des dividendes contenue à l’article 18 du Code des impôts sur les revenus vise tous revenus attachés aux actions et dès lors que par une spin-off, la société s’appauvrit et les actionnaires reçoivent ‘quelque chose’, en l’espèce des actions donnant le droit au vote et aux dividendes dans une autre société, cela constitue un revenu imposable et le précompte mobilier doit être payé sur la valeur des actions reçues.

En pratique, dans notre exemple, un montant de 50 est donc imposable au titre de dividendes reçus.

L’arrêt de la Cour

Malgré l’existence de la jurisprudence Tyco et la promulgation de la circulaire administrative qui commenta cet arrêt pour consacrer cette thèse taxatoire, un contribuable porta une nouvelle affaire devant les tribunaux et obtenu gain de cause.

Depuis l’arrêt Tyco, un régime de neutralité fût introduit par le législateur (qui resta lettre morte de par les conditions très (trop) strictes qu’il pose) mais l’opération en cause date d’avant cette modification législative.

Sur la base d’une analyse des travaux préparatoires de la disposition fiscale en cause (l’article 18 du CIR), la Cour développe un raisonnement qui aboutit à constater que le contribuable en question ne s’est réellement enrichi à l’occasion de la spin-off qu’à concurrence de la différence entre la valeur historique de sa participation et la valeur globale des participation après la spin-off (i.e., la participation historique, ayant diminué de valeur, et les nouvelles actions reçues en échange).

Mais la Cour pousse le raisonnement encore plus loin.

Car outre la question de la taxation d’un dividende, une autre question anime l’administration fiscale dans le cadre des spin-offs : celle de la notion de capital libéré (remboursable à un actionnaire sans taxation selon le même article 18 du CIR).

Par l’opération de spin-off, il est en effet possible de convertir des réserves taxées en capital, dans la mesure où l’apport ne réaliserait pas une diminution de ce capital chez la société apporteuse.

Dans notre exemple, imaginons que les 100 étaient représentés par 50 de capital libéré. L’opération fera diminuer la valeur des actions historiques à 50 et si l’actionnaire reçoit des actions d’une valeur de 50 en capital libéré de la nouvelle société, ce contribuable pourra obtenir 100 de remboursement de capital non imposable en lieu et place de 50 avant l’opération.

La Cour semble tenir compte de ce phénomène car elle aboutit à diminuer l’impôt à payer par le contribuable en question au précompte dû sur la différence entre la valeur des participations avant, et après l’opération, car le contribuable ne prouve pas que l’attribution des actions ‘de remplacement’ provient de capital libéré.

Cette position signifie dès lors qu’il n’y aurait pas taxation (i) dans les opérations où aucune différence de valeur ne survient entre la valeur globale de la participation avant, et après spin-off (ii) de même que lorsqu’il pourra être démontré, si une telle différence existe, qu’elle provient de capital libéré.

Un arrêt de cassation à venir

L’administration a introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt de sorte que la question n’est pas définitivement tranchée.

Si la décision de la Cour fait preuve de beaucoup de bon sens économique, elle fût accueillie de manière mitigée par la doctrine qui pour partie soulève différents arguments et affirme que cette décision ne résistera pas à la cassation.

Ces arguments ne convainquent pas réellement à ce stade car cette thèse, certes peu développée par la Cour d’appel de Mons dans sa décision, peut au demeurant s’appuyer sur bon nombre d’arguments faisant sens.

La prudence reste toutefois de mise dans cette affaire à suivre.

 

Xavier Gillot  

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